Quelques bribes de phrases parvenaient à ses oreilles, à peine audibles. La télévision s’entêtait à lui enfoncer des mots dans la tête mais son attention était portée vers l’écran d’ordinateur. Elle avait un projet important à terminer pour lundi. Ses doigts pianotaient sur le clavier à une vitesse folle, pendant que le temps filait à la même allure. Son regard glissa vers le cadran et elle retint son souffle en voyant l’heure. Déjà 20h passées, et son frère n’était pas revenu. Elle empoigna son cellulaire et envoya un rapide message texte. Elle attendit ensuite, fixant l’écran du petit appareil, légèrement nerveuse. Peut-être était-il seulement sorti avec des amis et avait oublié de l’aviser. Elle se rassura avec des pensées positives mais malgré cela, elle ne pouvait que se faire du souci pour lui. Après tout, il était sa seule famille et elle tenait beaucoup à lui.

Ne recevant pas de réponse, elle reporta son regard vers l’ordinateur puis, avec un soupir, sauvegarda son travail et éteignit la machine. Elle décida ensuite de s’allonger sur le canapé pour regarder un de ses films préférés mais, en conclusion, elle s’endormit avant la fin avec une petite pensée pour son frère.

Cela faisait près de quatre mois. Il n’était toujours pas revenu. Elle savait. Elle savait que lui aussi avait subi le même sort que tous les autres. Ceux dont le sort ne l’intéressait guère auparavant, qu’elle ne se forçait point à accepter en tant que fait. Son petit monde était impossible à atteindre, il était inconcevable qu’un évènement pareil survienne dans sa vie. Et pourtant, voilà que cette tragédie se réalisait à nouveau. Pourquoi avait-il fallu que ça tombe sur lui ? Pourquoi ?

Un jour, disait-on. Un jour, ils perceront ce mystère et ramèneront à la vie tous ceux étant considérés comme morts. Ils avaient déjà des pistes. Des découvertes incroyables avaient été faites durant les dernières années. Suite aux enquêtes infructueuses concernant l’affaire des disparitions humaines partout sur la planète, des experts avaient entamé maintes et maintes recherches dans différentes voies, toutes inefficaces. Ce n’est que tout récemment qu’un groupe de scientifiques seraient sortis de l’ombre, proclamant avoir déniché une piste. Il semblerait -aussi farfelu que cela puisse s’avérer- que des failles soient apparues un peu partout dans le monde. Des failles temporelles menant on ne sait trop où. Mais tout ça était encore entouré d’un brouillard dense de mystères et de questions. Toutefois, une lueur d’espoir perçait les nuages, et chacun priait pour un dénouement fortuné.

Ce monde est plaisant. En premier lieu, on panique, on pleure, on se fâche contre ceux qui nous disent d’abandonner et que toute tentative est vaine, on cherche un moyen de retourner dans notre monde, de sortir de cet endroit à la fois si similaire et si différent … est-ce réel ? Est-on vraiment ailleurs ? Dans une dimension différente ? Est-ce seulement possible ?
Peu m’importe à présent. Je me suis intégré dans cette société, comme tous les autres avant et après moi, et les suivants qui devront passer par là. Le peuple est sympa, ce monde est égayant et toujours divertissant. Surtout avec ce que les gens appellent "les allmates". Des robots sous forme d'animaux de compagnie avec une personnalité et une intelligence artificielle, qui sont capables de rechercher des informations dans un espace virtuel. Très surprenant à première vue, mais aussi très utile.

On s’y habitue, avec le temps. Le fait de tout perdre ce qu’on avait dans notre ancienne vie. Notre famille, nos proches, nos habitudes, notre milieu de vie. Mais en débarquant ici, cela m’a permis de débuter une nouvelle vie. Elle me plait, je n’ai pas vraiment de regret. Excepté…
Mon cœur se serre. Ma sœur doit être morte d’inquiétude. Ou pas… cela fait si longtemps que je suis arrivé ici… Elle doit avoir accepté la réalité. Je ne reviendrai jamais. À l’heure qu’il est, elle n’entretient forcément plus aucune pensée à mon égard.
Je ne sais pas comment j’ai abouti ici. C’était une journée comme les autres, je marchais tranquillement en route vers chez moi. Et puis au moment où j’ai descendu les escaliers de la ville, tout avait disparu. Ou plutôt, j'étais disparu. Quelques millisecondes seulement ont été nécessaires pour entrevoir tout autour de moi un semblant de vide absolu, mais en même temps, un univers dense et saturé.
Je crois avoir perdu conscience suite à ça. Lorsque je me suis réveillé, j’étais étendu sur le sol au milieu d’une rue pavée et déserte. Les environs étaient plutôt ensoleillés. L’atmosphère était incroyablement paisible et relaxante. Je me suis redressé et j’ai regardé autour de moi, incrédule. Qu’est-ce qui s’était passé ? Étais-je devenu saoul, m’avait-on drogué et laissé pour compte au milieu d’une place quelconque ?
Déconcerté, je me suis levé, puis en me retournant, quelqu’un se tenait là. Mon regard a rencontré celui, malicieux, d’un jeune homme… avec une queue et des oreilles de chat. Les mains dans les poches, la posture nonchalante, un sourire en coin, il s’est adressé à moi d’une voix cordiale.