Raaah la galère. J’me suis encore fait prendre. Saleté de flics. Impossible à berner. Bah… pas tout à fait. Je retire mes paroles. On verra bien si je réussi à les déjouer cette fois. J’ai déjà triomphé d’eux à plusieurs reprises… de toute façon cette fois j'étais pas en pleine possession de mes moyens...
Là j’suis dans une cellule assez austère, ça pue et il fait un peu froid. J’suis menotté, seul dans la pièce et assis sur une chaise qui grince assez désagréablement. Je me balance dessus en attendant mon sort et je repense aux derniers évènements qui m’ont amené ici et à mon cheminement dans cette voie peu recommandable.
Mon premier délit remonte à… bah j’avais 14 ans. C’était pas vraiment grave. J’étais seulement entré chez quelqu’un par effraction. Je n’me rappelle plus très bien pour quelle raison, mais qu’importe. Je me souviens seulement que le mec qui habitait là je le détestait… Et j’étais venu lui rendre une petite visite de courtoisie pour lui exploser sa précieuse Xbox. Mais passons.
Ensuite, je me suis mis à voler des trucs dans les magasins. Je l’ai fait au moins des centaines de fois. On m’a surpris une seule fois mais c’était pas majeur, heureusement. J’avais seulement piqué un sac de chips. Quoi ? J’avais faim ! Bon, la peine a pas été trop dure mais je peux vous dire que les fois suivantes, on m’a plus jamais choppé.
Je savais que j’étais pas un ado modèle. Quoique, je faisais pas vraiment d’efforts pour l’être. Mais pardonnez-moi, avec les parents que j’ai eu aussi ! Mon père a toujours été ainsi : Un vieux cochon sale drogué alcoolique et qui ramenait toujours des catins à la maison. D’ailleurs vous voulez pas savoir comment j’suis né ? Mon père m’a trouvé dans un panier au pied de la porte avec une note : «Carl, c’est ton enfant. La prochaine fois met un condom.»
…
Il l’a jamais fait.
Enfin. Mon enfance se résumerait à ça :
1 anJe pleure. Mon père augmente le volume de la télé.
5 ans- Papa ?
- Dégage tu vois pas que j'baise là.
8 ans- Papa j’ai soif…
- Y’a d’la bière dans l’frigo.
12 ans- Papa c’est quoi ça ?
- TOUCHE PAS À MA CAME !
16 ans- Hey tit-cul, va m’acheter des cigarettes.
- Avec quel argent…
- Je l’sais tu moé démerde-toé !
Pour mon père j’étais qu’un gosse inutile, une bouche de plus à nourrir, un poids sur ses épaules, des emmerdes quoi. Il n’avait aucune considération pour moi et me laissait me débrouiller tout seul pour tout. Pour lui je n’étais pas son fils, j’étais un inconnu, un gosse qu’on lui avait imposé. Un fils de pute. D’ailleurs, il ne m’a jamais donné de nom. M’ayant toujours appelé « sale gosse » ou « le môme », c’était devenu habituel et je m’en fichais un peu. C’est la voisine japonaise d’à côté qui m’a baptisé « Gunji ». Pourquoi ? J’vous explique…
J’avais environ 7 ou 8 ans à ce moment-là. Mon père avait pété une millième coche et m’avait jeté en dehors de l’appartement miteux dans lequel on survivait à peine en me disant de dégager au plus vite, qu’il voulait plus voir ma face de sale gosse merdique. J’étais pas impressionné, ayant été habitué à son comportement de salop dès mon plus jeune âge. Alors je me suis assis dans le couloir et j’ai attendu. C’est là que la voisine est entrée dans le building et m’a vu par terre. Elle m’a demandé ce que j’faisais, et comment je m’appelais. Je lui ai dit que j’attendais que mon père se calme, et je suis resté silencieux suite à sa deuxième question. Elle a insisté et j’ai fini par lui dire que je n’avais pas de nom. Après ça, elle m’a invité chez elle et, n’ayant rien de mieux à faire, je l’ai suivie. Elle était gentille, elle m’a offert des biscuits. Elle a commencé à me parler, rêveuse, de sa vie au Japon, qu’elle s’ennuyait de sa famille et blablabla… Et puis soudain, elle a pris un ton plus sérieux, m’a regardé doit dans les yeux et m’a dit : « Est-ce que tu veux avoir un nom ? » Alors j’ai tout bonnement hoché la tête. Elle m’a souri et m’a proposé « Gunji ». J’ai haussé les épaules, indifférent. Elle m’a expliqué que c’était le nom de son père, un grand homme respecté et tout et tout… Donc j’ai simplement accepté, et d’un coup je me sentais moins vide, plus vivant. Je ne cessais de répéter dans ma tête, Gunji, Gunji, Gunji. Et quand mon père me hélait avec ses appellations ingrates, je lui criais au visage que mon nom c’était Gunji, et qu’il devait m’appeler comme tel. Mais bon, il l’a jamais fait. Un jour j’ai cessé de m’en préoccuper, n’ayant besoin que de moi-même pour rester ancré à la vie.
La voisine est partie quelques semaines suite à ça, et je ne l’ai plus jamais revue. Je lui suis quand même reconnaissant de m’avoir permis de gagner un peu de confiance, car c’est ce qui m’a poussé à avancer, à faire un premier pas…
Lorsque j’ai eu 16 ans, je me suis inscrit à l’école aux adultes. Je n’ai jamais vraiment eu de bonnes notes en cours, et j’en ai toujours arraché en masse. Le seul domaine dans lequel j’excellais –et dans lequel j’excelle toujours-, c’était l’éducation physique. J’aimais particulièrement le basket, et je faisais justement partie d’une équipe. J’étais dans les meilleurs, et je n’ai jamais hésité à m’en vanter.
Un peu plus tard, vers mes 17 ans, j’ai fouiné dans les affaires de mon père pendant qu’il était raide mort sur le tapis, complètement soul. J’ai trouvé de la drogue… évidemment je l’ai pas remise à sa place. Non, je ne suis pas tombé dans l’enfer de la drogue… Non je ne suis pas non plus mort d’une overdose… Non je ne suis pas devenu un danger public à cause des mauvaises influences autour de moi… Attends minute, oui je le suis devenu. Mais c’pas très grave tant que moi je suis confortable avec ça ! Heh. Osef des autres.
Dans ces temps-là aussi je me suis mis à piquer de la marchandise de magasin et dérober subtilement les portefeuilles des touristes. J’étais agile, un vrai pro. Pickpocket professionnel. Le monde était mon porte-monnaie… Merveilleux, n’est-ce pas ?
Alors… je vous raconte comment je m'suis retrouvé ici, dans la cellule.
C’était en pleine nuit et j’avais -légèrement- abusé de l’alcool sans aucune raison particulière. J’étais complètement bourré, au max là. Bref, je gambadais joyeusement dans un trou perdu de la ville et il y avait plusieurs bâtiments abandonnés à cet endroit-là. J’trimballe toujours un paquet d’allumettes sur moi. T’sais, on sait jamais, au cas où… l’occasion de brûler un truc se présenterait ! Hehe. Donc là, une de ces idées de génie se forme dans mon cerveau embrumé par l’alcool. J’ai tout simplement craqué une allumette avant de la jeter par la fenêtre d’une veille maison rongée par les mites… J’vous dis pas comment c’était sensas voir les flammes s’emparer des lieux comme ça !
Je me suis reculé de quelques mètres et je me suis assis par terre pour regarder, obnubilé par le spectacle. J’sais pas combien de temps j’suis resté avachi là, mais un bœuf en patrouille m’a ramassé et m’a demandé si j’allais bien. Évidemment il a bien vu que j’avais consommé et m’a emmené au poste de police. J’étais trop flasque et amorphe pour même essayer de me débattre. Ils m’ont fouillé et ont trouvé de la drogue sur moi. Ils m’ont mis en cellule le temps que je reprenne mes esprits et voilà. On est aujourd’hui… le lendemain d’hier en fait. Euh, ‘savez la veille c’était l’incendie. C’est ça…
On ouvre la porte de ma cellule et deux personnes, des gros gars louches, entrent. Ils s’assoient en face de moi sur deux chaises similaires à la mienne qu’ils viennent d’apporter. Ils m'interrogent, je vois clairement qu'ils sont blasés et qu'ils ont autant hâte d'en finir que moi. Donc pour résumer j’ai tout raconté ce qui s’est passé hier. Pas parce que j’ai la trouille de mentir aux flics ! Mais parce que je sais que je perdrais du temps à mentir. Mieux vaut tout dire et foutre le camp rapidement…
Après on me traine sans ménagement à une autre cellule et on m’y enferme. Je suis en prison, ça y est. Je ne sais pas encore pour combien de temps. Je soupire et je vais m’allonger sur le lit de camp. Au moins ici ça pue pas. J’observe les lieux. C’est pratiquement vide… Y’a des étagères poussiéreuses et une toilette… vide. Fiou. Elle est crasseuse par contre… J’suis pas un maniaque de l’hygiène mais j’apprécie que mon environnement soit propre. Je supporte ma saleté mais de là à tolérer celle des autres qui sont passés avant moi...
Je divague et me perds dans mes pensées. J'attends que le temps file et je m'endors au bout de quelques heures.
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Après être passé en cour, j'ai écopé de six mois de prison. Trafic de stup. et incendie criminel.
Deux semaines sont passées et je commence à m'habituer à ce train de vie ennuyeux. Mon père n'est même pas venu me voir. C’est pas comme si je m’attendais à ce qu’il porte un quelconque intérêt envers moi, mais bon. J'ai fait connaissance avec quelques autres détenus, beaucoup plus vieux que moi. Les seuls moments où l'on peut se parler entre nous sont à l'heure du dîner et pendant les sorties dans la cour. Peu avant mon arrivée, quelque chose commençait à se tramer parmi les taulards.
Dans la cour, je tente de fraterniser avec quelques molosses quand soudain on entend des cris un peu plus loin. Une dispute semble avoir éclatée et deux gars sont en train de se taper allègrement sur la gueule. Les paris sont lancés. Mais la bagarre devient tellement violente que ça fini en échauffourée générale. Screw inclus. Mon cerveau fonctionne à toute vitesse. C'est l'occasion ou jamais... Avec ma formidable agilité –waaaw-, je me fraie un chemin jusqu'au fond de la cour et j'atteins la clôture. Je profite d'un gars qui vient s'écraser contre la grille, je grimpe sur ses épaules avant qu’il ait le temps d’empoigner mes chevilles et de me fracasser contre le sol en béton et j'enjambe la clôture. J’atterris de l'autre côté, mes genoux encaissent le choc. Je peux pas y croire, c'était trop facile. Mais bon, je ne m'en plaindrai pas.
Je cours comme un fou sans arrêt, pendant de longues et interminables minutes. Je tourne dans une rue sombre et déserte. Je me précipite à l'abri des regards, derrière une benne à ordures, et je fais le point. C’est presque un miracle que je m’en sois tiré sans obstacle, sans que personne ne porte vraiment attention à moi. Bon, premièrement je dois me débarrasser de cet habit crasse de détenu. Je regarde par-dessus la benne et j'observe les rares passants dans la rue. Je dois piquer des fringues de civil. Je vois un homme traverser lentement la rue et passer à ma hauteur. Je l'interpelle.
- Hey, m'sieur...
Il se tourne dans ma direction et me regarde.
- Oui ?
- J’aurais besoin de votre aide…
Il n'a pas l'air rassuré, mais croyant que je ne représente aucune réelle menace et que je semble beaucoup plus jeune que lui, il s'approche de moi. Je suis toujours derrière la benne et il ne peut pas apercevoir mon accoutrement. Je juge qu'il est assez proche, je l'empoigne par le collet et lui heurte violemment la tête contre le mur en brique à plusieurs reprises. Il n’a le temps que de pousser un grognement de douleur avant que je le laisse s’écrouler pitoyablement sur le sol, maintenant inconscient. Je le dépouille de ses vêtements vite fait et lui met les miens tant bien que mal, après avoir enfilé les siens. Un t-shirt simple avec des jeans. Un peu grand pour moi, mais ce n’est pas le temps de faire mon capricieux. Je balaie du regard le sol autour de moi, à la recherche d’un objet coupant. Apercevant un éclat du coin de l’œil, je m’approche et me penche. C’est une lame de rasoir rouillée. Ça fera l’affaire. Je retourne à l'homme inconscient et d’un geste sec lui tranche les poignets. Dommage, il avait l’air plutôt séduisant. En espérant qu'il va mourir au bout de son sang... Avec un sourire, je passe ma main sur son visage pour fermer ses paupières.
- Bonne nuit.
Je me redresse et lance la lame dans la benne à ordures. Les mains dans les poches, je pars mine de rien de ce lieu. Je sais que cela n'empêchera pas les autorités de m'identifier en tant que fugitif ET meurtrier, mais au moins ça me permettra de gagner un peu de temps...
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Ils ne m'ont jamais rattrapé. Enfin si, deux fois... Mais j'ai gagné, inévitablement. Je me suis confectionné des armes très efficaces pour me débarrasser des sangsues, quoi qu’assez voyantes… Ce sont des griffes, trois à chaque main. Elles sont rattachées sur une base en métal qui tient en place avec un manche en métal qui fait le tour de ma paume. Je me suis bandé les jointures avec soin afin d’éviter de me blesser inutilement. Avec ça, je peux déchirer la chair à loisir, sans craindre un bris quelconque ou une perte d’emprise sur mes armes. Très pratique…
J’ai aussi piqué des narcotiques à un stud intoxiqué sur le bord du chemin. Et puis en même temps, étant donné que j’étais rendu pas très loin de chez moi, j’en ai profité pour aller chercher quelques affaires. J’ai retrouvé ma bonne vieille veste rouge, mes bottes, mes pantalons noirs et mes nombreuses ceintures que j’affectionne tout plein. Mon père était dans son état habituel, complètement saoul. Je crois qu’il n’a même pas réalisé que j’étais là, à moins qu’il croyait que je faisais partie de ses hallucinations. J’ai ramassé une bière fraîche dans le frigo et je suis parti. En claquant la porte, j’ai lancé une toute dernière invective à l’intention de mon père, puis je me suis volatilisé.
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Par contre, je n’aurais jamais cru disparaître pour vrai.
Étendu sur le sol herbeux, les bras croisés derrière la tête, je fixe un point invisible dans le ciel. Le soleil est en train de se coucher, et pour la millième fois depuis mon arrivée ici, je me demande si réellement je n’ai pas succombé à quelque substance illicite et qu’en fait je suis en train de rêver. Mais tout est bien réel. Quand je trace une ligne sur ma chair avec ma lame, la douleur est vivante, elle n’est pas sourde. Elle est bien là, authentique, tangible. La couleur du sang est parfaite, et le liquide ne se déverse pas en flots incontrôlables, comme cela survient fréquemment dans mes délires. Je ne suis pas en train de rêver.
Mon regard se perdant toujours dans le ciel rose-orangé, un petit sourire en coin naît sur mes lèvres. C’est bien mieux que le futur qui m’attendait. Je n’aurais pas pu souhaiter davantage.
Mon sourire s’élargit puis un rire étouffé m’échappe, pour ensuite s’amplifier graduellement. Mes yeux pétillent, imaginant déjà toutes les possibilités qui s’offrent à moi. Exalté, je finis par me rouler dans l’herbe en riant à gorge déployée.
This is going to be fun.