Ce garçon est passablement étrange et suspect. Sa silhouette singulière attire le regard. Non pas pour sa taille car il n’est pas spécialement grand (étant plutôt situé dans la moyenne), mais bien pour son accoutrement inusité. Il s’affuble d’un grand sarrau ample et opalescent avec deux grandes poches qu’il laisse déboutonné, laissant voir une chemise courte de la même couleur. Ses cheveux sont blancs comme neige, débraillés et coiffés peu soigneusement, mais à l’allure toutefois soyeuse. Autour de son cou est enroulé un léger foulard de teinte vert pâle. Il revêt la plupart du temps des gants ivoire, une montre classique au poignet droit et porte de grandes bottes blanches à lacets noirs qui couvrent ses tibias presque jusqu’aux genoux. Ses pantalons sont relativement simples, d’une couleur bleu-gris légèrement délavé avec le bas rentré dans les bottes et le haut retenu par une ceinture blanche simple.  Il y a un d’ailleurs un autre détail dérangeant à propos de lui : il trimbale son parapluie transparent partout avec lui, parfois déployé, que ce soit par beau ou mauvais temps. Son allure presque irréelle est si nette et impeccable qu’il semble sortir tout droit d’une époque futuriste. Non seulement son habit sort de l’ordinaire, mais ce n’est pas tout. La plupart du temps, son visage est dissimulé sous un masque à gaz. On ignore pourquoi il l’arbore ainsi. Il est peut-être seulement dérangé mentalement.

Les (plutôt rares) fois où il retire son dérangeant masque, on peut admirer son visage innocent à l’air céleste. Il a des yeux doux aux nuances roses et rouge pâle. Il arbore toujours un sourire franc et aérien, et l’éclat dans son regard est très souvent doux. Il est très expressif, et ses émotions paraissent sur son visage et dans ses yeux. Pour finir, il a deux petits grains de beauté discrets au bas de sa lèvre et sur son menton.

Mais ce qui le rend encore plus étrange que son apparence, c’est bien sa façon d’être. À première vue il semble formel et poli, parlant avec éloquence et utilisant des titres honorifiques. Or, après coup, on remarque que ses expressions et sa gestuelle sortent carrément de l’ordinaire. Également, il agit de façon très excentrique et enfantine, et s’extasie devant des choses peu importantes. Il ignore plusieurs choses et pose souvent des questions. Il semble être dénué de toute compréhension basique du monde dans lequel il vit, et ne semble pas s’en soucier de toute manière. Il est toujours d’une humeur joviale. C’est un jeune homme plein d’entrain et de vitalité. Bien qu’étant généralement heureux la plupart du temps, il peut parfois se mettre en colère, mais c’est un fait rare. Il est très émotionnel et un rien peut affecter son humeur. S’il obtient une réaction plutôt déçue de son interlocuteur, il ne cessera de se confondre en excuses, d’une façon assez exagérée. Toutefois, il préservera la plupart de ses sentiments et gardera ses questions personnelles envers les autres pour lui-même. Ceci jusqu’à ce qu’il atteigne émotionnellement son point de rupture, et dans ces moments-là il emprunte un ton dramatique, déterminé à expliquer son point de vue et se faire comprendre.

Malgré le fait que la joie de vivre l’habite la plupart du temps, il renferme toutefois quelques insécurités. En effet, c’est en lien avec le port de son masque à gaz. Peut-être a-t-il une estime de lui plutôt basse, ou alors c’est en lien avec la pigmentation de sa peau et la couleur de ses prunelles. Quoi qu’il en soi, il semble très réticent à retirer cet horrible objet qui camoufle son joli visage. Il se pose également plusieurs questions existentielles, à savoir ce qu’est réellement la vie et la mort.

Clear s’est également découvert une certaine passion pour la cuisine. Il adore faire de la bouffe pour les autres, et non pour sa propre gourmandise. Pour lui,  voir les autres satisfaits et, contentés grâce à ses efforts le rempli de bonheur.  Ceci arrive très rarement, étant donné que personne ne vient vers lui. Cela ne le dérange pas néanmoins de passer ses journées seul et livré à lui-même. Le plus clair de son temps, il le passe en hauteur, perché sur les toits des habitations, à chanter une même sérénade envoûtante, harmonieuse et apaisante. Il a une voix magnifique, et extrêmement relaxante, agréable et presque magique. Ses mélodies sont tellement pures et célestes qu’il pourrait guérir bien des cœurs et des esprits avec celles-ci.

Tu as été comme un fils pour moi. Je t’ai vu grandir, t’émerveiller devant le monde dans lequel tu vis, explorer ton environnement, apprendre de tes erreurs. Je suis si fier de toi. Maintenant que les temps sont arrivés, je me rappelle du jour où je t’ai vu sur le bord de la grand-route. Mais qui avait bien pu être aussi sans-cœur pour livrer un bambin à son sort ainsi ? Ni une ni deux, je t’ai immédiatement pris sous mon aile. J’allais peut-être enfin sortir de ma monotone vie habituelle. Peut-être allai-je pouvoir savourer à nouveau la joie que l’on ressent lorsque quelque chose nous rends tout ému et attendri notre cœur. Casser la routine redondante de la vie en solitaire, à regarder par la fenêtre le soleil se lever, et se rendre compte quand il redescend que la journée est déjà passée. Un jour de plus vers la fin. Qu’importait, je n’avais pas de motivation à changer ma façon de vivre, je n’avais aucune raison de le faire. Personne ne m’attendait  à la maison lorsque je rentrais d’une journée d’excursion en forêt, à examiner la faune et la flore. Je ne pouvais que reporter mon intérêt dans ce passe-temps, puisque la solitude m’entourait de toute part. Mais depuis cette journée-là, celle où tu es apparu comme un véritable chérubin tombé du ciel, tu es venu à ma rescousse. Tu étais si menu et vulnérable, allongé dans l’herbe haute, paisible et endormi. Si innocent et inconscient de ta situation. Ta peau si pâle, blanche, tout comme tes cheveux, tout ça prenant une teinte plus chaude sous le coucher du soleil qui embaumait les prairies de sa chaleur réconfortante.
J’ai usé de mille et une précautions en te recueillant. Tu étais si léger. Je n’ai pu réprimer un sourire qui s’est dessiné sur mon visage, chose qui ne s’était pas produite depuis des lustres. C’est alors que tes yeux se sont ouverts. Je suis resté bouche bée en apercevant la teinte de tes prunelles. J’ai ressenti quelque chose au fond de moi, me dictant que je faisais le bon choix. À ce moment, tu t’es mis à sourire. C’était la chose la plus merveilleuse qui m’eut été donné de voir.
À partir de cet instant, je n’étais plus seul.

Je suis désolé de t’abandonner ainsi, mon cher petit, mais sois en paix dirige tes pas là où ton cœur te mène…


« Granpa ! »

Clear chuchota en tapotant l’épaule du vieil homme endormi sur son grand lit. Le garçon se levait toujours très tôt et venait réveiller son Granpa à tous les jours pour aller prendre le petit-déjeuner.

Découragé, il relâcha un petit soupir et secoua son épaule un peu plus fort. L’homme, qui était dos à Clear et allongé sur son flanc, bascula soudainement sur le dos. Clear se recula légèrement et considéra le visage de son Granpa pendant quelque secondes. Il semblait bien blême, ce matin. Un tantinet inquiet, le jeune garçon l’interpella encore une fois.

« Granpa ? »

Son ton était désormais plus inquiet. Soudain, un choc le traversa.  Il leva une main tremblante et la porta sur le torse de l’homme, au niveau du coeur. Il la posa doucement. Ses yeux s’agrandirent, ses sourcils se froncèrent, sa bouche s’arqua lentement pour former un rictus. Ses billes s’embuèrent, il ramena sa main contre son propre cœur avec effroi.

Pourtant, son Granpa semblait paisible. Son visage était détendu, et sur ses lèvres planait un léger sourire. Une larme perla au coin de l’œil du jeune garçon, glissa tristement le long de sa joue pâle et termina son chemin dans les tissus de son habit. D’autres vinrent bientôt rejoindre la première, et des sanglots s’échappèrent de sa gorge resserrée par la tristesse. Son cœur était écrasé de souffrance, le déni tournoyant encore et encore dans sa tête.

Il a bien grandi le petit chérubin.


On le voyait parfois errer dans les ruelles, personne ne le connaissait vraiment, personne ne savait qui il était. C’était un petit quartier pas loin de la banlieue où tout le monde se connaissait, alors le nouveau venu avait vite été repéré. À première vue il ne dérangeait personne, mais en réalité chacun souhaitait intérieurement qu’il parte. Il agissait étrangement et sa présence dérangeait la paisible existence des gens égoïstes qui n’apprécient pas spécialement le changement. Mais lui ne semblait pas s’en soucier, à vrai dire il faisait sa petite vie sans personne pour lui venir en aide. Il n’avait pas besoin de manger en quantité industrielle, se contentant de très peu pour se sustenter. Il dormait souvent dans le dépotoir, et semblait également s’y être installé. Il s’était construit une modeste habitation avec de grandes taules en métal, et avait aménagé sa maison de fortune avec les déchets laissés çà et là. Au fil des jours, il collectionnait de plus en plus d’objets, tous scintillants et transparents. Il aimait beaucoup leur apparence, la façon dont ils brillaient et l’allure des autres objets lorsqu’on essayait de regarder au travers.

Il chantait souvent pour lui-même. La plupart du temps il reprenait toujours la même mélodie, celle qu’il avait composée spécialement pour son Granpa. C’était une chanson faisant hommage aux méduses, ces majestueuses créatures que le vieil homme affectionnait particulièrement. Il la lui chantait souvent, car il savait qu’il l’aimait beaucoup.

Il était toujours seul. Malgré ses conditions, il rayonnait toujours de bonheur. Rien ne pouvait miner son moral. Graduellement, les citoyens commençaient à s’habituer à sa présence toutefois sans la rendre plus supportable. Les jours passaient ainsi, sans grand changement, jusqu’au jour où le garçon solitaire cessa d’être vu. Était-il finalement parti pour ailleurs ? Avait-il succombé à la malnutrition ? Personne n’en fit de cas et aucun mot ne fut prononcé à ce sujet. Qu’importe, cela ne les concernait pas.